« Ce qui a vraiment un sens dans l’art, c’est la joie.  Vous n’avez pas besoin de comprendre. Ce que vous voyez vous rend heureux ? Tout est là. » Si l’on se réfère à cette citation de Constantin Brancusi, l’art peut rendre heureux mais la contemplation d’une oeuvre contente-t-elle pleinement celui qui l’observe ? Comprendre la démarche de l’artiste ou le(s) message(s) portés à travers son oeuvre éveille également cette part de curiosité que chacun porte en soi. La médiation culturelle offre certaines clés de compréhension des éléments qui font partie intégrante d’une oeuvre. Elle se place comme un élément de transmission essentiel entre un public, un artiste et son oeuvre. L’avènement des technologies 2.0 puis 3.0 supplante, à certains égards, les supports de médiation classiques.

Elles permettent à l’amateur d’art, quelque soit son appétence en la matière, de regarder l’oeuvre au delà de la perception sensorielle évoquée par C. Brancusi. Aujourd’hui, la réalité augmentée, les applications descriptives et même la robotique peuvent susciter un intérêt nouveau de la part de publics originellement peu immergés dans les disciplines artistiques mais aussi ré-enchanter l’expérience du contemplatif habitué des musées. “Un tableau ne vit que par celui qui le regarde” comme le soulignait très justement Pablo Picasso. Puissent les nouvelles technologies éveiller de nouveaux regards…

La réalité augmentée ou l’art de la storytelling

Il n’existe pas une seule façon de découvrir une oeuvre d’art. Pour les néophytes, plus difficile est l’appropriation de l’oeuvre. Cela commence souvent par une sensation de curiosité teintée de plaisir ou de déplaisir. Vient ensuite la perception subjective du thème de l’oeuvre et sa composition : couleurs, lumière, matière, nombre de personnages, contexte… L’expression réelle du thème abordé est cependant plus compliquée à appréhender sauf si l’on connaît vraiment l’oeuvre et l’artiste qui l’a créée.

En ce sens, le visiteur d’un musée a besoin d’être guidé pour découvrir, par exemple, le cadre historique de l’oeuvre, l’identité des personnages, la démarche de l’artiste dans ses choix de composition ou encore l’évolution du travail de l’artiste par rapport à d’autres de ses oeuvres.

La réalité augmentée facilite l’appropriation de l’oeuvre par celui qui la contemple et de pénétrer dans son histoire. Elle complète ainsi les supports de médiation déjà présents dans les musées : cartels, livrets…

A travers le monde de nombreux musées, comme le British Museum (Londres) ou le MoMa (New York) ont proposé à leurs publics, dès 2010, le principe de réalité augmentée suivant des principes et scenarii assez différents. Dans le premier cas, une chasse au trésor était proposée à de jeunes visiteurs, qui, munis de tablettes, devaient découvrir des indices liés à  des oeuvres de l’antiquité égyptienne. Dans le second, les visiteurs munis de smartphones et ayant préalablement téléchargé une application spécifique, accédaient à une exposition virtuelle au sein même de l’exposition permanente.


Capture d’écran 2016-01-17 à 18.57.28Le musée National de Cracovie en Pologne, a proposé d’intégrer le principe de réalité augmentée en 2011 au sein de la galerie
Sukiennice  lors de l’exposition « Stories Behind the Paintings ». L’idée était de donner vie aux personnages des peintures alors exposées pour intéresser les publics les plus jeunes. Le visiteur découvrait ainsi la vie des personnages d’une oeuvre en direct, grâce à de courtes séquences filmées, accessibles uniquement en plaçant un smartphone en direction d’une peinture.

En France, la réalité augmentée a également été utilisée dans de nombreux musées autour d’oeuvres ou d’expositions particulières. De l’utilisation des Google Glass (lunettes 3D) au Grand Palais lors de l’exposition Vélasquez à la création d’application dédiées telles que “Camondo AR” au cabinet de porcelaine au musée Nissim de Camondo (Art Décoratifs de Paris), les projets faisant appel à la réalité augmentée fleurissent de plus en plus.

A la Piscine de Roubaix, c’est autour de la peinture “Combat de coqs en Flandres” de Rémi Cogghe que la réalité augmentée a été appliquée. Lors de la Nuit des Arts, en 2015, le visiteur, muni d’une tablette, assistait à l’animation des personnages du tableau et s’immergeait ainsi dans l’histoire de l’oeuvre. Ce projet a été porté par la jeune start-up Artenpik.


Capture d’écran 2016-01-17 à 18.55.34En 2015 toujours, le musée d’Orsay et Orange se sont associés pour augmenter l’expérience du visiteur autour de “l’Atelier du Peintre” de Gustave Courbet. 
Quatre tablettes étaient mises à la disposition du public et le visiteur pouvait “entrer” dans le tableau. Chaque personnage racontait une histoire et la somme de tous ces récits permettaient de comprendre, de façon transversale, les motivations de l’artiste lors de la création de cette gigantesque toile.

Emmener tous les publics

La réalité augmentée, offre incontestablement une expérience unique et ludique au visiteur. Néanmoins l’importance des coûts de développement ne permet pas, pour le moment, un déploiement  à un large panel de musées sur tout le territoire français.
Capture d’écran 2016-01-17 à 18.53.28Découvrir l’art de façon ludique, intuitive et interactive, reste possible malgré tout, grâce à des start-ups dynamiques en ce domaine.
La société Artips créée en 2013 par Coline Debayle et Jean Perret a compris que pour intéresser un public plus large, il fallait aborder les thèmes artistiques et les oeuvres de façon concise, ludique et accessible. S’entourant de l’expertise de Gérard Marié, professeur d’histoire de l’art à Paris-VIII, Paris-X et Sciences Politiques, mais également d’un réseau de plus de 50 rédacteurs spécialistes –   professeurs et étudiants en histoire de l’art, guides et passionnés ainsi qu’une communauté de relecteurs –  Artips a conçu un système d’anecdotes envoyées plusieurs fois par semaines à ses abonnés, sous forme de newsletter. L’engouement autour de ces anecdotes ne s’est pas fait attendre et à ce jour, près de 143 000 fans suivent Artips via leur compte Facebook.

Capture d’écran 2016-01-17 à 18.59.01Fort de ce succès, Artips a développé d’autres services et supports pour offrir encore plus d’Art au quotidien. En décembre 2015, l’application Artips est ainsi lancée. A travers onze thèmes renouvelés en permanence et dédiés à des artistes et/ou des expositions en cours, l’abonné accède à dix secrets autour d’oeuvres variées. Amélie de Ronseray, Directrice du développement et des partenariats chez Artips nous parle du succès de l’application quelques semaines après son lancement. Les projets à venir sont multiples et Artips proposera à partir de cette année de nouveaux contenus autour d’oeuvres issues de musées français mais également internationaux. De plus, Artips développera de nouveaux secrets dédiés cette fois à d’autres arts, tels que la musique notamment.

Au niveau des villes, la démocratisation de l’Art et la facilitation de son accès est un sujet majeur.  Paris Musées, établissement public administratif, créé en 2012 par la Ville de Paris, et chargé depuis janvier 2013, de la gestion de 14 musées de la ville réunit les services mutualisés en charge, de la mise en place, de la production des expositions et des événements culturels, ainsi que du suivi des collections et des éditions. Parmi les projets en cours, Paris Musées veut créer un outil numérique accessible, gratuit et participatif pour faire se rencontrer les parisiens et leur patrimoine ; une plate-forme qui permette au parisien tout aussi bien d’organiser leurs sorties culturelles dans les musées de la Ville de Paris que d’accéder au savoir que renferme le million d’œuvres des collections parisiennes.

Robotique et écrans tactiles : nouvelles extensions de la disruption

Accessibilité aux oeuvres des musées et ouverture vers de nombreux publics peuvent également coexister avec un domaine actuellement en plein essor : la robotique. De nombreuses interactions entre robotique et médiation culturelle se sont développées à travers le monde. En 2015, le musée du Quai Branly a proposé  aux publics la rencontre avec un robot d’un genre un peu particulier, répondant au nom de Berenson. Ce robot interrogeait les visiteurs sur leurs préférences quant aux oeuvres qu’ils découvraient à l’intérieur du musée. Ces opinions ont ensuite été entrées dans la base de données de Berenson, forgeant ainsi son propre jugement esthétique. Cette étape passée, le robot déambulait dans le musée en donnant son avis sur les oeuvres qu’il rencontrait. Si Berenson “aime” tel ou tel objet ou forme, il s’en approche et sourit. A l’inverse, s’il détecte des ressemblances avec des œuvres qu’il a appris à considérer comme moins “plaisantes” ou “intéressantes”, il s’en éloigne.

Capture d’écran 2016-01-17 à 19.02.39

Au musée d’Art Moderne du Luxembourg, Guido, comme son nom l’indique, accueille et guide le visiteur tout en commentant les oeuvres d’art avec humour.  Au delà de leur aspect éducatif,  les initiatives menées dans ces deux musées ont aussi vocation à faciliter l’acceptation sociale des robots et à créer ainsi de meilleures coopérations homme/robot. 

Aux États-Unis, le Cleveland Museum of Art met à la disposition de ses visiteurs un écran tactile géant baptisé « Gallery One ». Par le biais de ce système, plus de 3 500 œuvres de sa collection permanente sont visibles, et le visiteur organise lui même son propre parcours de visite grâce à une technologie de  localisationindoor par triangulation . Cette dernière se base sur la disposition de 3 points d’accès (émetteurs)  et d’un dispositif de réception tel qu’un Smartphone (récepteur).  Dans cette méthode, on peut donc calculer la position d’un individu à un point précis du musée grâce à l’AOA (Angle of Arrival) ou le TOA (Time of Arrival). 

Capture d’écran 2016-01-17 à 19.04.13

Pour renforcer le côté ludique de l’exposition, les visiteurs peuvent également mimer les positions des personnages présents dans les oeuvres et ainsi comparer leur propres postures avec celles de ces derniers ; le tout étant retransmis sur des bornes avec écrans tactiles.

La place et la contribution du visiteur  

L’expérience du Robot Berenson, évoquée ci-avant, met en relief l’utilité de compiler les données des visiteurs avec les ressources et les oeuvres des musées. Certains laboratoires 3.0 créés tels que Media Lab développé par le Metropolitan Museum of Art de New York étudie l’impact des nouvelles technologies sur le personnel et les visiteurs, que ce soit dans les espaces physiques ou virtuels de l’institution. Ce laboratoire diffuse également sur son blog des contenus sous forme de MOOC à tester et des articles invitant les usagers à réagir sur les sujets qui les intéressent ou sur leurs préférences en matière d’expositions. Reste à savoir comment l’agrégation de ces informations-visiteurs peut être mise en place. Comment également co-créer ce type de pratiques entre plusieurs institutions muséales et ainsi mutualiser cette masse de data pour mieux réinventer les expositions de demain ?