Depuis la rentrée du MBA MCI full time 2014 / 2015, un mot revient dans la bouche de chaque intervenant : DISRUPTIF.

Après 3 semaines de matraquage, envieuse d’intégrer la grande famille du digital, je me décide à parfaire mon vocabulaire web et me jette sur mon Larousse poussiéreux. J’y découvre la définition suivante : « Se dit de la décharge électrique qui éclate avec étincelle »….

Je reste perplexe un instant…

La parfaite illustration du concept disruptif :-)

La parfaite illustration du concept disruptif 🙂

 

Mais poussée par mon nouveau statut d’étudiante en soif d’apprentissage, je me décide à aller plus loin et à parcourir plus en profondeur la toile autour de ce nouveau concept en vogue.

Et là, je découvre à quel point mon corps enseignant est dans le vrai (partie e-fayot de l’article) !

Le terme « disruptif » est absolument partout, au point que Les Echos business, dans leur édition du 2 janvier dernier, s’interroge si :

Etre disruptif” ne devrait pas être la résolution 2014 de toute entreprise qui veut réussir dans le digital ?*

J’y apprends que le mot disruptif vient du latin « disruptum » qui signifie « éclater, briser en morceau ». Je comprends donc qu’en cela, le digital est une technologie disruptive. Cependant, je découvre que ce terme n’est absolument pas lié à l’ère numérique : la disruption est une stratégie d’innovation élaborée par le publicitaire Jean-Marie Dru (créateur de l’agence BDDP) dans les années 1990**.

Dans une interview à l’Express en 2003, l’actuel président de TBWA explique la naissance de ce nouveau concept : « les méthodologies marketing ont peu évolué. Elles datent d’une époque consumériste où l’on pensait qu’il fallait ‘répondre aux attentes des consommateurs’ (…) On sait pourtant que le consommateur ne peut dire que ce qu’il connaît déjà, mais on n’en tient pas compte, et on continue de mener les mêmes études de marché, avec les mêmes vieux modèles. »

La disruption se définit donc par une rupture : c’est une alternative à l’uniformisation de la pensée, un agent du changement permettant la création de nouvelles opportunités.

Le processus disruptif

Le processus disruptif

 

Après avoir connu ses 1ères heures de gloire dans le milieu de la communication et de la publicité, la disruption apparait peu à peu dans tous les domaines d’expertise : marketing, management, informatique, business, politique ou même sportif. Pour preuve, le geste technique révolutionnaire de Dick Fosbury dans l’épreuve du saut en hauteur, lors des Jeux Olympiques de Mexico en 1968, a été considéré comme une « innovation disruptive » par de nombreux experts sportifs. En effet, après des années de répétitions d’un même geste et d’immobilisme dans la discipline, Fosbury déroge à la convention et  incarne le changement.

Parallèlement, aucun secteur économique n’en réchappe et c’est exactement ce qui est en train de se produire avec le digital. Chaque jour, des innovations disruptives sont apportées grâce aux outils numériques sur de nombreux marchés. Ainsi, aujourd’hui, la question n’est plus “Le digital va-t-il faire voler en éclat ce marché ?”, mais “Quand le digital va-t-il bouleverser ce marché ?”.

Cependant, une interrogation demeure pour de nombreux professionnels :

Comment initier une innovation disruptive grâce au digital sur un marché déjà existant ?

« La stratégie Océan bleu », livre co-écrit par W. Chan Kim et Rénée Mauborgne (professeurs à l’INSEAD) apporte de nombreux éléments de réponse.

Dans cet ouvrage, publié en 2005, la dimension numérique n’est absolument pas traitée. Toutefois, l’ensemble de la méthodologie permettant de créer de nouveaux espaces stratégiques, d’innover et se démarquer de la concurrence trouvent particulièrement écho à l’ère digitale.

Les deux auteurs émettent l’idée qu’une croissance durable et rentable pour une entreprise qui se trouve dans un environnement concurrentiel saturé (où les produits se ressemblent de plus en plus et où la guerre des prix fait rage) ne peut s’obtenir qu’en s’affranchissant des contraintes de son marché. Et, pour sortir de l’« océan rouge » de la concurrence, une seule solution : réaliser un saut de valeur (autrement dit une innovation disruptive), qui aboutira à la création d’un espace de marché entièrement nouveau, un océan bleu.

Stratégie océan rouge versus bleu

Les caractéristiques de la stratégie de l’océan bleu vs océan rouge

 

Selon les auteurs, six voies d’investigation permettent à une entreprise de créer de nouveaux espaces stratégiques dits « océan bleu » et de s’extraire de la bataille concurrentielle permanente (qui demande beaucoup d’énergie et donne proportionnellement peu de valeur en retour). J’ai choisi d’illustrer chacune de ces pistes par un exemple probant de start-up afin de montrer à quel point cette théorie est porteuse de sens en pleine révolution digitale.

Piste 1 : explorer les solutions alternatives présentes sur le marché. Toute entreprise se trouve en concurrence non seulement avec les autres acteurs de son secteur d’activité, mais aussi avec les entreprises qui proposent des solutions alternatives. Par solution alternative, on entend une solution avec une forme et des fonctionnalités différentes mais dont le but est de satisfaire le même besoin. Pour illustrer cette piste, l’exemple de Blablacar est très intéressant.  De Paris, pour se déplacer jusqu’à Marseille, on peut avoir recours au stop, à sa voiture personnelle, au train ou à l’avion. De forme très différente, toutes ces solutions remplissent néanmoins le même office : se rendre à Marseille. Avec son offre de covoiturage, Blablacar a su proposer un nouveau moyen de se déplacer à la fois économique, sociale, pratique et rapide. Il n’existe aucune solution aussi sympa, sécurisante ou peu chère pour voyager.

Piste 2 : explorer les différents groupes stratégiques du secteur. Uber en est une parfaite illustration en ayant su aborder son marché avec un état d’esprit totalement vierge de préjugés ou de pré-requis. Pour cela,  le cofondateur Travis Kalanick  a simplement réussi à réunir à travers une seule et même offre les avantages décisifs de deux groupes stratégiques du secteur – le prix attractif des taxis traditionnels et le service de qualité et la ponctualité des chauffeurs privés – et en atténuant ou en excluant toutes les autres composantes de chaque groupe (le tarif prohibitif pour les chauffeurs privés, l’attente hasardeuse et le service à bord minimum pour les taxis). Il a donc su mettre de côté toutes les pratiques traditionnelles des deux marchés pour proposer un modèle complètement différent, et plus proche des besoins des consommateurs d’aujourd’hui.

Piste 3 : explorer la chaine des acheteurs – utilisateurs. Les entreprises de chaque secteur se retrouvent largement sur une définition commune de l’acheteur à cibler. Or, si elles analysent la chaine de distribution et de prescription, elles peuvent trouver de grandes opportunités business à faire évoluer leur cœur de cible. Après avoir ciblé pendant des années le particulier, Ebay effectue depuis un virage stratégique fort : talonné par le Bon Coin et Amazon, la plateforme de vente change de modèle, en privilégiant la distribution professionnelle aux échanges entre particuliers. Si elle brade toujours autant d’objets mode, maison et électroniques, 70% des articles sont aujourd’hui neufs, vendus par des professionnels à prix fixe. Seulement 20% des transactions restent encore des enchères entre particuliers.

Piste 4 : explorer les produits et services complémentaires. Des produits ou des services complémentaires recèlent souvent une valeur inexploitée et la tâche primordiale de toute entreprise est de définir la solution d’ensemble que recherche le client. C’est ce qu’a fait Withings, dès 2009, en  commercialisant son premier produit : un pèse-personne connecté permettant à la fois de connaitre son poids à un instant T en temps réel mais aussi et surtout de conserver et de pouvoir consulter à tout moment l’évolution de sa courbe de poids sur son smartphone. L’idée de génie a donc été de proposer un produit de la vie courante en y associant un service additionnel à forte valeur ajoutée : récupérer les données sans que l’utilisateur n’ait à agir, et lui restituer de manière intelligente à travers une application, avec les conseils associés.

Piste 5 : explorer le contenu fonctionnel ou émotionnel du secteur. Les concurrents d’un même secteur d’activité ont tendance à s’accorder sur la définition des produits à proposer mais aussi sur les axes de communication à privilégier. Ainsi dans certains secteurs  (les produits ménagers, les fournitures de bureau…), l’accent est mis sur le prix et l’attrait fonctionnel du produit. Dans d’autres secteurs (le voyage, l’automobile), les acteurs font plutôt jouer le ressort de l’émotionnel. Avec la création du Slip Français, Guillaume Gibault, a décidé pour sa part de sortir des codes de communication imposés par son marché et de relancer un produit banal et totalement démodé en injectant une forte dose émotionnel. Cette émotion s’appuie sur plusieurs choix stratégiques différenciant et fédérateurs : personnaliser chacune des pièces de sa collection (« Le Redoutable », « L’Intrépide » ou « Le Marcel »), faire fabriquer en France, vendre sans intermédiaire sur Internet et faire sa publicité sur les réseaux sociaux.

Piste 6 : explorer le temps par projection des grandes tendances. Il ne s’agit pas de prédire le futur mais d’extraire du sens des tendances déjà observables. Pour illustrer cette piste, l’exemple d’Apple et de l’I-tunes reste le plus probant. Dès la fin des années 90, Steve Jobs constate la montée fulgurante d’échanges illégaux de fichiers de musique. Il lance donc en 2003 le 1er magasin de musique en ligne avec l’accord des cinq poids lourds de l’industrie du disque. Il propose alors un système légal, simple et souple de téléchargement de musique avec 200 000 chansons en magasin et la possibilité de télécharger une chanson pour moins d’1€ ou un CD entier pour moins de 10€.

A travers ces 6 pistes, on voit d’ores et déjà apparaître une multitude d’innovations disruptives qui restent à inventer dans les prochaines années grâce au développement numérique.

Dans son dernier ouvrage,  « l’Entreprise 2020 à l’ère numérique, ses enjeux et défis »  le CIGREF présente 12 technologies disruptives qui vont éclore dans les prochaines années dont 7 numériques : la connaissance automatisée, les réseaux d’objets connectés, la robotique avancée, l’impression 3D, le cloud computing, l’internet mobile et les véhicules autonomes.

Le disruptif et le digital ont donc encore de belles années devant eux…

 

Pour en savoir plus sur la Stratégie Océan Bleu et parcourir le reste de la méthodologie, découvrez l’ensemble du livre.